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Chronicrobard
5 octobre 2010

Déculottée et diagonale du pouvoir

     S'ils ne craignaient pas la foudre élyséenne (et voulaient bien abandonner leur rhétorique constipée), bien des ténors de l'UMP* vous le diraient sans fard: la droite française est dans la merde.

     Cause arithmétique de cet aveu trivial : au soir du second tour des élections régionales, la majorité présidentielle est minoritaire dans 90 départements métropolitains sur 96.

     Le premier tour avait été calamiteux. On craignait le grand chelem de gauche. Cet emprunt au vocabulaire sportif, en plein Tournoi des six nations, accroissait les frayeurs. Pour dire une telle bérézina, la langue ne manque pas de ressources : veste, claque, taule, raclée, tannée, branlée, déculottée. Comme les lentilles agrémentent le petit salé, le verbe prendre accompagne ces mots avec bonheur.

     Cependant – ô vanité ! – un homme politique refuse généralement de reconnaître qu'il a pris une branlée. Même la métaphore est proscrite, qui rabote pourtant les parties trop saillantes.

     Sans doute à cause de cet adage mille fois vérifié qui veut que le ridicule ne tue pas, le pouvoir avait choisi le déni en attendant le second tour. Restait malgré tout une difficulté : comment faire taire les voix discordantes ? Comment éviter qu'on dise blanc à Matignon et noir dans le Cantal ? Qu'un provincial maladroit parle de déculottée historique ?

     On utilisa la verticale du pouvoir chère à Vladimir Poutine. On convoqua les ténors à qui l'on expliqua qu'il n'était pas question de laisser les caciques disséminés dans les quatrevingt dix départements où s'était exprimée la vindicte populaire raconter n'importe quoi. On fit taire deux extrémistes : l'un, dont on connaissait les saillies violentes, proposait de dire franchement aux électeurs qu'ils n'étaient que des cons irrécupérables ; l'autre, qu'on savait dépressif, déclara que, puisque la droite était mal aimée, il lui fallait renoncer à l'exercice du pouvoir.

     On se rappela que tout était spectacle et que le verbe régnait. On accoucha de commentaires. On les agença dans un ordre précis. On les baptisa Éléments de langage. On se garda de les dénombrer car toute indication chiffrée aurait orienté les mauvais plaisants vers les quatre éléments et leur cortège d'expressions redoutables : prendre eau de toutes parts, faire long feu, sentir le vent du boulet, suivre un enterrement de première classe. On savait qu'une fois livrée à la meute médiatique, l'expression elle-même, dans sa forme grammaticale, serait en péril. Que des esprits malveillants n'y changeraient qu'un substantif. Que, des éléments de langage, on glisserait ainsi aux éléments de cuisine d'où, bien plus aisément qu'un chameau par le chas d'une aiguille, on passerait à la cuisine électorale, source de quolibets de toutes sortes : aller à la soupe, sentir le goût de la défaite, bouffer à tous les râteliers, prendre une gamelle.

     Mais on n'ignorait pas que l'espace politique est truffé de pièges et que plaie de calembour n'est pas mortelle.

     On jeta un coup d'oeil aux ténors qui, tout ce temps, étaient restés au garde-à-vous. On leur distribua les éléments de langage avec une solennité rappelant Moïse quand il transmit aux Hébreux les Tables de la Loi. On autorisa des variations, pourvu qu'elles représentent des oscillations infimes par rapport au texte originel.

     Les ténors transmirent les consignes élyséennes aux malchanceux conviés sur les tréteaux médiatiques. À la virgule près, les mainates répétèrent le même refrain dans tous les lieux où devait se répandre la parole présidentielle.

     Des lieutenants jusqu'aux fantassins, beaucoup trouvaient la tactique d'une bêtise affligeante mais personne n'en souffla mot, à part le dépressif qui, de toute façon, abandonna la politique pour se remettre à la poterie.

     La semaine qui suivit, entre les deux tours, confirma les prévisions les plus sombres : non seulement le flot des quolibets enfla chaque jour mais encore quelques grandes gueules dirent tout haut ce que le reste de la bande, tétanisé par la trouille, pensait tout bas. Un commentateur chinois se permit une réflexion désobligeante sur l'état de la démocratie française. Un Chinois ! Sur la démocratie !

     Enfin vint le verdict des urnes. La participation gonfla un peu. Les électeurs prirent plus nombreux le chemin des urnes, mais ce fut pour rendre la déculottée plus éclatante encore. La droite perdit la Corse et conserva l'Alsace. On ne cria pas victoire : chacun savait bien que, si un jour les cigognes volaient à gauche, la France serait auparavant couverte de soviets. On ne déboucha pas davantage le champagne pour le gain de la Guyane, fruit de la trahison d'un baron socialiste.

     Le plus dur restait à faire : qu'allait-on bien pouvoir raconter sur les plateaux de télévision ? Même un oligophrène n'aurait pas tenté deux fois de suite le coup du déni...

     Le plus drôle, c'est qu'à une semaine d'intervalle, on rejoua la même farce pour commenter la même raclée, avec des répliques diamétralement opposées.

     Comme si l'intelligence, la raison, le courage, la cohérence, voire le simple calcul politique comptaient moins que cette affirmation : la discipline règne !

* Sans oublier, osons le pronostic, quelques barytons...

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