Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Chronicrobard

30 décembre 2010

L'imparfait du subjonctif

"J'aurais d'ailleurs souhaité qu'il restât au gouvernement."

Il, c'est Jean-Louis Borloo, dont le chef de meute laissait entendre qu'il avait 99 % de chances d'être nommé premier ministre. 1 % d'incertitude. Porte légèrement entrouverte, par où le pisse-froid de la Sarthe s'est glissé pour rempiler.
Avant d'écouler des cartouches de cigarettes, mon buraliste a reçu une éducation papiste. Il proclame urbi et orbi qu'avec un nom qui rime avec Waterloo, Borloo était foutu d'avance. Son voisin charcutier, grand amateur de jeux de cartes, lui répond que Fillon rime avec manillon. "Avec quoi ?" demande le fourgueur de Gitanes. Le faiseur de saucisses devient aussi rouge qu'un salami et quitte la pièce.

"J'aurais d'ailleurs souhaité qu'il restât au gouvernement."
Elle est bien balancée, cette phrase : sept syllabes pour la principale, huit pour la subordonnée (
qu'il-res-tât-tau-gou-ver-ne-ment ; je précise pour ceux qui n'ont pas révisé).
Mon buraliste, lettré à ses heures, souligne l'imparfait du subjonctif (qu'il-res-tât, même remarque que plus haut). "Et devine kicétikadiça !"
- Le charcutier, de retour, donne sa langue au chat (qui n'en veut pas, le félin surveille son cholestérol).
- Sarkozy.
- Sarkozy ?!
- Oui.
- Le mec accro à la télé-pizza ?
- Oui.
- Le fana de foot et de vélo ?
- Tout juste.
- Le gars qui devait faire une retraite spirituelle pour "habiter la fonction présidentielle" et qui a foncé à Malte pour se pavaner sur le yacht de son copain Bolloré ?
- Oui, celui du scooter des mers et des grosses montres bien voyantes.

L_imparfait_du_subjonctif2_copie


Sarkozy employant un imparfait du subjonctif, c'est comme si :

  • George W. Bush traduisait Heidegger.
  • Ahmadinejab apparaissait à la tribune de l'ONU avec une kippa sur le crâne.
  • Nicolas Anelka devenait directeur de recherche au CNRS.
  • Silvio Berlusconi entrait chez les Chartreux.

Le personnage va-t-il continuer sur cette étrange lancée ?
Va-t-il déclarer :
- Il eût fallu que je pendisse Dominique de Villepin à un croc de boucher pour éviter qu'il ne nous emmerdât.
Ou :
- Que convenait-il que nous fissions, M. Duhamel, que nous laissassions les voyous trafiquer en paix ?
Un échange a toutefois été supprimé par les conseillers en communication :
- Auriez-vous supposé que Villepin se répandrait sur vous de la sorte ?
- Encore eût-il fallu que je le susse !



Publicité
Publicité
15 novembre 2010

Concours de la fonction publique

Sujet

Il est fait état ces derniers temps, dans les sphères médiatique et politique, d'un "abaissement de la fonction présidentielle". Pensez-vous que ce soit le cas ?
     Vous disposez de quarante-deux minutes. Le nombre minimal de caractères que pourra comporter la copie est fixé à trois. On avertit toutefois les candidats tentés par les réponses suivantes : "Oui" ; "non" ; "ça dépend", qu'ils courent le risque de ne pas atteindre la moyenne.

Sont marrants avec leurs sujets. Abaissement de la fonction présidentielle ! Sarkozy mesure 1 mètre 66. La France, en comptant l'Alsace, la Lorraine et la Charité-sur-Loire, couvre 550 000 kilomètres carrés.
1,66 m / 550 000 km². Tentant, non, de répondre oui à la question posée ? Mais Notre Sainte Mère l'Église nous enjoint de résister à la tentation. (Un ami qui va à la messe m'a rapporté la chose.)
Résistons.
Tapons Nicolas Sarkozy sur Google. Il tombe des hallebardes : 8 470 000 résultats, le 2 novembre 2010 à 22 heures 48 (un jour, ces détails peuvent avoir leur importance). Est-ce trop ? On n'est pas forcé de répondre par l'affirmative (affirmative au lit, il est où, ce parc, déjà ? mais je m'égare, et celle de St-Lazare est en grève).
Revenons à nos mous thons.
Pour que la fonction présidentielle soit aussi bien incarnée que l'ongle du gros orteil de ma tante Louisette, il faut un grand homme.
Holà ! Pas si vite ! Un grand homme ou un homme grand ? (On connaît cette vieille ficelle, Mathusalem en parle déjà dans son journal intime.) Soit l'adjectif qualificatif grand : saisissez-le délicatement par son dé final, n'observez pas sa face arrière, ce serait du dernier grossier, posez-le avant puis après le nom ; vous passez du statut à la taille. Une voix susurre : Qu'est-ce qu'on en a à foutre, de la place de l'adjectif, il est minuscule, cet abruti, de toute façon ! Objection facile. Refusons la facilité. Ne quittons pas notre sujet des yeux et retournons à nos agneaux (23 euros le kilo cette semaine ! Qui peut se payer du gigot ?)
Ça me court sur le haricot (de mouton bien sûr ! À ce prix-là, pourquoi se gêner ?) de réfléchir tout seul à cette fonction présidentielle à la con. Plus on hait de fous, plus on rit. (Au fait, affine ou linéaire, la fonction ? Linéaire, répond l'écho, puisqu'elle passe par zéro.)
Changeons de point de vue. Plan large. Décor de salle des fêtes. Question légèrement modifiée : avec un autre président de la République, la fonction serait-elle mieux incarnée ? Un podologue demande la parole au fond de la salle mais il attendra son tour. Assurément ! répondent ceux qui rêvent d'avoir leur photo dans toutes les mairies de France (y compris la Charité-sur-Loire).
Un linguiste veut donner son avis. Pourquoi pas ? Il nous dit que les patronymes des hommes politiques ont une importance extraordinaire ; qu'il se joue quelque chose de souterrain, de parfaitement inconscient ; que des résonances secrètes éveillent des échos - ou pas - dans le cœur des citoyens.
Un routier quitte la salle, suivi d'un buraliste. Je dis au gars d'en venir au fait avant qu'on se retrouve seuls tous les deux. Il enchaîne : Prenez le prénom du zigomar par le enne, posez-le sur la page.
Nicolas
Attrapez une barre oblique, mettez-la à côté.
Nicolas /
Maintenant, saisissez le nom du suce-dit par le esse mais en sa partie basse (la tête est fragile) et mettez-le à droite de la barre. On obtient :
Nicolas / Sarkozy.
Séparez soigneusement les syllabes, comme vous feriez pour des blancs et des jaunes  (Quel rapport ?
demande le buraliste revenu s'asseoir. Aucun, répond le disciple de Saussure, c'est ça le charme).
Ni-co-las / Sar-ko-zy.
Que constatez-vous ? demande le linguiste. Le buraliste regarde ses ongles, les trouve trop longs et sort une paire de ciseaux.
Le linguiste est ravi que personne ne donne la réponse. Avec une salle pareille, il a trouvé saussure à son pied. Le voilà qui hurle : Un chiasme magnifique !
Un quoi ? dit le routier, qui revient du bistrot.
Un chiasme magnifique !
Explique-toi, mon gars
, dit le buraliste.
Je m'explique : écoutez les voyelles :
i-o-a / a-o-i. Des sons en miroir !

Le routier glisse à l'oreille du vendeur de scies Garette (La scie Garette ? L'excellence à perpète !) : Il est con, ou quoi ?
Un charcutier, passionné de poésie sud-américaine, se glisse hardiment dans la discussion : Chiasme, certes, mais imparfait, si je puis me permettre. Pour que l'euphonie fût parfaitement achevée, il eût fallu : Ni-co-las / La-co-ni. Mais j'entends le chœur des malveillants. Surtout les basses. De Laconi, les mauvais plaisants passeraient à l'aconit. L'aconit, dont la prononciation orthodoxe est l'aconite  (le routier au buraliste : Ça rime avec bite... Le buraliste fronce le sourcil) est une plante vénéneuse. Nicolas L'aconit, vous voyez le tableau ! On pourrait contourner la difficulté en ajoutant un erre : Nicolas Larconi. Mais on aurait tôt fait de passer du lard au marc, et Marconi conforterait furieusement ce qui se dit à propos de la surveillance des médias et de la servilité de la clique présidentielle. La Voix de son maître ! On n'aurait plus que ce mot à la bouche !
Le buraliste et le routier applaudissent.
Je suggère donc plutôt (reprend le faiseur d'andouilles) un autre produit de la combinatoire : Zy-co-sar / Sar-ko-zy. De surcroît, Zycosar vous a un petit côté magyar qu'il ne faut pas négliger. J'ai retrouvé d'ailleurs dans un ouvrage de jeunesse d'Alexandre Dumas cette phrase : "Zycosar reprit du goulasch pour la cinquième fois".
Le routier au négociant de scies Garette (La scie Garette ? Jamais à la gueule ne vous pète !) : C'est vrai que c'est pas mauvais, le goulasch. Mais quand même, cinq fois !
Le charcutier se rassied. Il sort un carnet de sa poche ventrale, saisit le crayon perché sur son oreille et note en caractères Courier new :
Penser à la commande de boudin de madame Lemoine.
Le linguiste a placé sa chaise face au mur. Il tourne le dos à la salle. Il boude, furieux qu'un fabricant de cervelas lui ait voilé la vedette. Le buraliste éclate de rire. Il vient de comprendre la rime bite / aconit.

Retour au plan serré. Décor initial. Quarante et une minutes ont passé. Je vais répondre oui. Tant pis pour la moyenne.


5 octobre 2010

Déculottée et diagonale du pouvoir

     S'ils ne craignaient pas la foudre élyséenne (et voulaient bien abandonner leur rhétorique constipée), bien des ténors de l'UMP* vous le diraient sans fard: la droite française est dans la merde.

     Cause arithmétique de cet aveu trivial : au soir du second tour des élections régionales, la majorité présidentielle est minoritaire dans 90 départements métropolitains sur 96.

     Le premier tour avait été calamiteux. On craignait le grand chelem de gauche. Cet emprunt au vocabulaire sportif, en plein Tournoi des six nations, accroissait les frayeurs. Pour dire une telle bérézina, la langue ne manque pas de ressources : veste, claque, taule, raclée, tannée, branlée, déculottée. Comme les lentilles agrémentent le petit salé, le verbe prendre accompagne ces mots avec bonheur.

     Cependant – ô vanité ! – un homme politique refuse généralement de reconnaître qu'il a pris une branlée. Même la métaphore est proscrite, qui rabote pourtant les parties trop saillantes.

     Sans doute à cause de cet adage mille fois vérifié qui veut que le ridicule ne tue pas, le pouvoir avait choisi le déni en attendant le second tour. Restait malgré tout une difficulté : comment faire taire les voix discordantes ? Comment éviter qu'on dise blanc à Matignon et noir dans le Cantal ? Qu'un provincial maladroit parle de déculottée historique ?

     On utilisa la verticale du pouvoir chère à Vladimir Poutine. On convoqua les ténors à qui l'on expliqua qu'il n'était pas question de laisser les caciques disséminés dans les quatrevingt dix départements où s'était exprimée la vindicte populaire raconter n'importe quoi. On fit taire deux extrémistes : l'un, dont on connaissait les saillies violentes, proposait de dire franchement aux électeurs qu'ils n'étaient que des cons irrécupérables ; l'autre, qu'on savait dépressif, déclara que, puisque la droite était mal aimée, il lui fallait renoncer à l'exercice du pouvoir.

     On se rappela que tout était spectacle et que le verbe régnait. On accoucha de commentaires. On les agença dans un ordre précis. On les baptisa Éléments de langage. On se garda de les dénombrer car toute indication chiffrée aurait orienté les mauvais plaisants vers les quatre éléments et leur cortège d'expressions redoutables : prendre eau de toutes parts, faire long feu, sentir le vent du boulet, suivre un enterrement de première classe. On savait qu'une fois livrée à la meute médiatique, l'expression elle-même, dans sa forme grammaticale, serait en péril. Que des esprits malveillants n'y changeraient qu'un substantif. Que, des éléments de langage, on glisserait ainsi aux éléments de cuisine d'où, bien plus aisément qu'un chameau par le chas d'une aiguille, on passerait à la cuisine électorale, source de quolibets de toutes sortes : aller à la soupe, sentir le goût de la défaite, bouffer à tous les râteliers, prendre une gamelle.

     Mais on n'ignorait pas que l'espace politique est truffé de pièges et que plaie de calembour n'est pas mortelle.

     On jeta un coup d'oeil aux ténors qui, tout ce temps, étaient restés au garde-à-vous. On leur distribua les éléments de langage avec une solennité rappelant Moïse quand il transmit aux Hébreux les Tables de la Loi. On autorisa des variations, pourvu qu'elles représentent des oscillations infimes par rapport au texte originel.

     Les ténors transmirent les consignes élyséennes aux malchanceux conviés sur les tréteaux médiatiques. À la virgule près, les mainates répétèrent le même refrain dans tous les lieux où devait se répandre la parole présidentielle.

     Des lieutenants jusqu'aux fantassins, beaucoup trouvaient la tactique d'une bêtise affligeante mais personne n'en souffla mot, à part le dépressif qui, de toute façon, abandonna la politique pour se remettre à la poterie.

     La semaine qui suivit, entre les deux tours, confirma les prévisions les plus sombres : non seulement le flot des quolibets enfla chaque jour mais encore quelques grandes gueules dirent tout haut ce que le reste de la bande, tétanisé par la trouille, pensait tout bas. Un commentateur chinois se permit une réflexion désobligeante sur l'état de la démocratie française. Un Chinois ! Sur la démocratie !

     Enfin vint le verdict des urnes. La participation gonfla un peu. Les électeurs prirent plus nombreux le chemin des urnes, mais ce fut pour rendre la déculottée plus éclatante encore. La droite perdit la Corse et conserva l'Alsace. On ne cria pas victoire : chacun savait bien que, si un jour les cigognes volaient à gauche, la France serait auparavant couverte de soviets. On ne déboucha pas davantage le champagne pour le gain de la Guyane, fruit de la trahison d'un baron socialiste.

     Le plus dur restait à faire : qu'allait-on bien pouvoir raconter sur les plateaux de télévision ? Même un oligophrène n'aurait pas tenté deux fois de suite le coup du déni...

     Le plus drôle, c'est qu'à une semaine d'intervalle, on rejoua la même farce pour commenter la même raclée, avec des répliques diamétralement opposées.

     Comme si l'intelligence, la raison, le courage, la cohérence, voire le simple calcul politique comptaient moins que cette affirmation : la discipline règne !

* Sans oublier, osons le pronostic, quelques barytons...

23 juin 2010

L'homme de la rue

« Il paraît évident que les mesures prises pour défendre l'euro ne seront efficaces que si la confiance se rétablit. Tous les spécialistes vous le diront. L'homme de la rue ne voit que l'écume des choses. Il crie à l'austérité mais il y a dans cette affaire toute une machinerie – si vous me permettez d'emprunter cette image au vocabulaire du théâtre – dont le but est, je le répète, de restaurer la confiance des marchés. »
Ton doctoral.

commentateur_politique_copie

Léger rire de gorge après le mot machinerie.
Diction aussi soignée que la dentition d'un milliardaire. Frisson de plaisir à la pensée de la semaine qui s'annonce : radios, plateaux de télévision, colloque, chroniques hebdomadaires, pluie d'euros qui tombe dans l'escarcelle.
Le commentateur politique, espèce proliférant plus vite que l'algue verte, a pondu son analyse.
Le vulgum pecus prétendra que, des analyses comme celle-­là, il en pond tous les matins. C'est bien possible mais difficile à vérifier : on n'est pas dans les chaumières aux moments cruciaux.
Évitons l'appareil digestif. N'ajoutons rien aux kilos de prose déjà consacrés aux
marchés, entité dont on sait peu de chose, sinon que sa main est invisible et son humeur changeante.
Il s'agit plutôt, dans ces lignes, de déboulonner une autre image : l'homme de la rue.
De quelle rue, d'ailleurs ? Un boulevard bordé de HLM pourries ou la rue de la Paix ? L'avenida 9 de Julio, à Buenos Aires, sur laquelle roulent de front dix-­huit bolides ou une venelle médiévale aussi étroite que la marge de manœuvre d'un chômeur alcoolique ?
Le commentateur politique proteste : ce n'est qu'une abstraction, ça ne désigne aucune rue en particulier.
Justement : l'abstraction est à la réalité ce que la Grosse Bertha est à la frappe chirurgicale. Elle écrase le paysage comme un char d'assaut lancé dans un pré : les plantes sont aplaties, les parfums disparaissent, les couleurs se confondent.
L'abstraction regarde de loin, elle est sœur du mépris.
Car, mon petit bonhomme, on sent ta condescendance suer entre les mots. Si l'on avait accès à ton for intérieur, on entendrait voler les insultes. Et si tu subissais trop longtemps la pression exaspérante d'un journaliste, tu lâcherais la bonde à ton emportement : Nous sommes en démocratie re­pré­sen­ta­tive ! Par conséquent, on va pas demander aux gens leur avis tous les quatre matins !
En attendant, malgré une écoute attentive de l'extrait radiophonique, aucun changement de ton n'est perceptible quand le spécialiste multicarte évoque l'homme de la rue. Le commentateur est prudent. Il tient du sophiste, du marchand de tapis et du bonimenteur. Il dit la bonne aventure à la planète entière. Il est choyé, réclamé, respecté, bien payé mais il sait que tous les mépris ne sont pas bons à dévoiler. Il croit dur comme fer que les grands hommes sont cyniques et camoufle son opinion quand il le faut. Ce faisant, il n'en pense pas moins...
On ne saurait trop lui conseiller d'agir comme Micromégas quand il saisit délicatement, pour le rapprocher de lui, le vaisseau où se tenait une « volée de philosophes » qui  « revenait du cercle polaire, sous lequel ils avaient été faire des observations dont personne ne s'était avisé jusqu'alors. »
S'il regardait de plus près, il les distinguerait, les hommes de la rue. Il les verrait sortir de l'indétermination.
Les détails lui apparaîtraient, comme ils s'imposent à ceux qui préfèrent la saveur de la vie aux colonnes de chiffres.
• Sarah Dujardin, première à Normale Sup', troisième à Polytechnique, virtuose du violon et de l'heptathlon, belle comme un marbre de Phidias, engloutie dans les problèmes existentiels et malheureuse comme les pierres.
• Luigi Malatesta : maçon dans le Sud de l'Italie, couvert de dettes et tenu par la maffia. Ayant refusé de couler un mauvais payeur dans le béton, il avait dû s'exiler dans le Cantal.
• Ursuline Ardent la bien nommée, nonagénaire qui manifestait en fauteuil roulant et se rappelait 1936.
Et tant d'autres, oubliés, noyés dans un brouillard épais dont ils n'émergent pas, ramassés au filet et comprimés par millions pour nourrir les statistiques. Les petits, les sans-­grade, ceux dont les puissants s'étonnent qu'ils puissent supporter des existences aussi ternes. Quand ils tirent leur révérence, on les enterre sans cérémonie, nul ne prononce d'oraison funèbre et ils s'en vont discrètement ainsi qu'ils ont vécu.

20 mai 2010

Australopithecus sediba

     On apprend la découverte d'hominidés, vieux de deux millions d'années. C'est le fils d'un anthropologue qui les a exhumés, quelque part à l'ouest de Johannesbourg. Paléo-­junior n'a que neuf ans. À l'âge où l'on travaille ses dribbles, le bambin se passionne pour les prospections géologiques. On imagine qu'une fois adulte, il gagnera sa vie en classant cubitus et métatarses. (À moins que, tenaillé par une résurgence du complexe d'Œdipe, suivie de l'élimination symbolique du géniteur, il n'envoie promener l'évolution pour se consacrer au piano à bretelles.)
     Les scientifiques ont donné à cette nouvelle espèce le nom d'Australopithecus sediba. Ils ont été mieux inspirés que leurs prédécesseurs, dont l'esprit grossier avait enfanté Homo erectus.
     Les nouveaux hominidés pourraient se révéler les ancêtres de l'homme moderne. L'un des deux, un jeune mâle, possédait un cerveau dont la taille était comprise entre 420 et 450 cm³.
     Les anthropologues ont bien sûr comparé cette cylindrée avec le volume du cerveau actuel (de 1200 à 1600 cm³).

     Le contemporain moyen prend sa calculatrice. Tape 1200 puis :  puis 420. Observe le résultat: 2,857142857. Constate que ça ne tombe pas juste et que ça n'en finit pas. Évite de creuser la question. S'en tient à 2,85. Arrondit à 2,9. Se rengorge. Pressent que la victoire sera plus nette avec les deux autres nombres. Tape 1600 puis : puis 450. Observe le résultat: 3,555555556. Arrondit à 3,6. Se rengorge bien davantage. Enfoncé, l'australopithèque, qu'il se dit, le contemporain lambda. Une  bouffée d'orgueil l'embrase, surtout s'il ne fait rien d'autre, d'habitude, que s'envoyer des canettes de bière en regardant la Roue de la fortune.

australo_copie

     Sa réaction, cependant, n'est­-elle pas légitime ? Deux millions d'années d'évolution ! Que de chemin parcouru ! En un siècle, on a inventé (entre autres) le cinéma, l'automobile, l'avion, l'ordinateur et la planche à roulettes ! Alors pensez, en deux millions d'années, durant lesquelles les hommes ont expérimenté, travaillé, peiné, réfléchi ! Songez aux fruits de leur incroyable ingéniosité ! Les apports de la civilisation sont innombrables mais la place nous manque. Allons à l'essentiel: l'humanité n'aurait-­elle produit que le Picon bière, le bandit manchot, l'arnaque à l'assurance, le crédit hypothécaire, le 421, le point mousse, les œufs mimosa, l'uppercut, l'andouille de Vire, le coup de poing américain et le veau Marengo qu'elle serait assurée d'une place royale dans l'échelle des espèces.
     Mais l'humanité ne s'est pas contentée de ces violentes poussées technologiques. Elle a su prendre de la hauteur...
     Constatant avec fierté que ces inventions se doublaient, dans le domaine de la spiritualité, d'une sagesse étonnante, accumulée au fil des millénaires, elle en a célébré les richesses par de nombreux proverbes : Qui s'est brûlé la langue n'oublie pas de souffler sur sa soupe. Bien faire et laisser braire.
     Enfin, dans l'énoncé des maximes qui immortalisent son expérience, l'humanité n'a pas dédaigné les circonstances les plus banales : Jeune femme à  vieux mari, c'est noix dure à croc pourri.

Publicité
Publicité
2 mai 2010

Le mousique et le LHC

     Le sage Tchou­Fa, fin lettré qui vivait sous le règne du monarque K'ang­hsi, écrivait dans ses Aphorismes mandchous : « Les crises ressemblent au moustique: elles enseignent l'humilité». (Nous prions le lecteur d'éviter toute confusion avec l'expression populaire faire tchoufa, malheureusement tombée en désuétude, et qui signifie rater son coup.)
     De l'aphorisme tchoufien, on peut tirer deux  conclusions : le moustique pourrit la vie de l'humanité depuis un certain temps, quelle que soit la longitude; le problème de l'humilité (et donc de  l'orgueil) préoccupait les penseurs de la dynastie des Ch'ing.

Le lecteur se demande ce que le moustique vient faire ici...

Voici le récit d'une expérience banale, qui l'éclairera en peu de mots...

     Lecteur, tu es installé dans un fauteuil confortable. Après une journée étouffante, tu as ouvert la fenêtre. Une fraîcheur légère t'enveloppe. Tu viens de te servir une bière dont la couleur dorée te promet des délices. Un livre attend, posé près du verre, mais tu as décidé de ne rien faire pendant quelques minutes, pour laisser se dissiper les fatigues du jour et profiter de l'instant. Les soucis disparaissent, le temps est aboli, le monde n'est que bien-­être, tu échappes aux contingences comme si tu foulais le Jardin d'Éden. Tu fermes les yeux et voici le bonheur à portée de main, alors qu'il paraissait te fuir depuis toujours. Ne suis­-je pas l'égal des dieux? te dis-­tu, lorsqu'un bourdonnement te vrille l'oreille. Le rêve s'écroule. Ton plus vieil ennemi t'assaille en piqués successifs. Un moustique envahit ton territoire et pulvérise tes illusions.

     Tu mesures à grand peine l'étendue de ta désillusion. Ne sais-­tu pas pourtant que, sur l'échelle de Richter des emmerdements quotidiens, le moustique atteint le degré 9 ? Qu'il l'emporte sur le constat d'huissier et le petit salé sans lentilles ? Que seule la roulette du dentiste rivalise avec lui ? N'as-­tu pas déjà songé à la disproportion entre la taille microscopique du monstre et son stupéfiant pouvoir de nuisance ? La rage te prend. Tu saisis un torchon pour massacrer le fauve.
     Au terme d'un quart d'heure de chasse infructueuse (car le volatile est rusé, vicieux à l'extrême, il disparaît et se tait de longues minutes, te laissant désemparé, ton arme à la main, pour surgir soudain et te piquer en plein visage), tu te laisses tomber sur un lit.
     C'est l'instant du retour au calme. Des souvenirs de lecture te reviennent, d'antiques maximes qui traitaient de la fugacité du bonheur. Le goût de l'humilité efface les séductions de l'orgueil...

moustique2

     La superbe (comme on disait dans les chaumières jansénistes), le péché capital par excellence, à l'œuvre dans la construction de la Tour de Babel et l'achat d'une Rolex, est-­il à l'origine du LHC ? Ce sigle, ami lecteur, ne dissimule pas un stupéfiant aux puissants effets hallucinatoires. Il désigne le Large Hadron Collider (Grand Collisionneur de Hadrons), le plus grand instrument scientifique de la planète. Un anneau de vingt­-sept kilomètres de circonférence placé à cent mètres sous terre, à la frontière entre la France et la Suisse. On y envoie des protons se percuter à sept millions d'électrons­-volts. La vitesse des bolides frôle celle de lumière. L'objectif ? Faire éclore de nouvelles particules et s'approcher du bordel qui régnait quelques millionièmes de seconde après le Big Bang. Pour mesurer la violence des coups que les hadrons portent à leurs petits camarades, les scientifiques, confrérie facétieuse, font appel au rescapé du coup de torchon. Un million d'électrons­-volts, c'est en effet l'énergie cinétique d'un moustique en vol. (Problème d'arithmétique: quelle énergie un moustique a­-t-­il dépensée, après avoir tourné une heure quarante­-huit autour de sa victime, si l'on sait que le temps de vol a été interrompu par des pauses dont le total cumulé se monte à trente-­cinq minutes, y compris les attaques, les repos fugaces sur différentes parties du corps de la proie et les brusques envols pour échapper au torchon ?)
     Tel cet acteur du muet qu'on nommait L'homme aux cent visages, le volatile est promu roi de la métamorphose. Il était l'ennemi suprême, la quintessence de l'emmerdement, le voici étalon énergétique mesurant la quête des premiers instants de l'univers! Qui peut se vanter d'un retournement aussi spectaculaire ? Un social-démocrate, peut­-être, quand il abandonne le Capital pour scruter les cours de la Bourse... D'objet de rage meurtrière, de réalité triviale réduite parfois à une tache de sang sur un mur, le moustique est propulsé au royaume des abstractions scientifiques. De symbole d'un soir d'été foutu, il devient signifiant mathématique.

     Il faut dire qu'un autre exemplaire de la gent ailée a pris sa place, dans la quête de la nuisance maximale rapportée aux forces originelles : un oiseau (on pense au pigeon, mais ce serait accuser sans preuves) est sans doute responsable d'une des pannes du LHC : quelques miettes de pain tombées d'un bec ont en effet causé un court-­circuit dans l'un des transformateurs extérieurs de la machine.

     Un peu d'humilité, ont dû se dire les concepteurs du Grand Collisionneur...

Publicité
Publicité
Chronicrobard
Publicité
Archives
Publicité